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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

toute œuvre d’art, je contemple ces deux divinités artistiques des Grecs, Apollon et Dionysos, et je reconnais en eux les représentants vivants et évidents de deux mondes d’art qui diffèrent essentiellement dans leur nature et leurs fins respectives. Apollon se dresse devant moi, comme le génie du principe d’individuation, qui seul peut réellement susciter la félicité libératrice dans l’apparence transfigurée ; tandis qu’au cri d’allégresse mystique de Dionysos, le joug de l’individuation est brisé, et la route est ouverte vers les causes génératrices de l’Être, vers le fond le plus secret des choses. Ce contraste inouï, qui sépare comme un abîme l’art plastique, en tant qu’apollinien, et la musique, en tant qu’art dionysien, n’a été discerné que d’un seul parmi les grands penseurs, et cela si nettement que, sans le secours de la symbolique divine des Hellènes, il accorda à la musique le privilège d’une origine et d’un caractère particuliers la distinguant de tous les autres arts, pour la raison qu’elle ne serait pas, comme tous ceux-ci, une reproduction de l’apparence, mais bien une image immédiate de la Volonté elle-même, et représenterait ainsi, en face de l’élément physique, l’élément métaphysique du monde, à côté de toute apparence, la chose en soi (Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et comme Représentation, I, p. 310). À l’appui de l’éternelle vérité de cette conception, la plus essentielle de toute esthétique, avec laquelle l’esthétique, au sens plus