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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

influence maïeutique et éducatrice exercée sur de jeunes et nobles esprits, dans le but de susciter en eux le génie.

Et la science, éperonnée par sa puissante illusion, s’élance alors irrésistiblement jusqu’à ses limites, où vient échouer et se briser son optimisme latent inhérent à la nature de la logique. Car la circonférence du cercle de la science est composée d’un nombre infini de points, et cependant qu’il est encore impossible de concevoir comment le cercle entier pourrait être jamais mesuré, l’homme supérieur et intelligent atteint fatalement, avant même d’avoir accompli la moitié de sa vie, certains points extrêmes de la circonférence, où il demeure interdit devant l’inexplicable. Lorsque, plein d’épouvante, il voit, à cette limite extrême, la logique s’enrouler sur soi-même comme un serpent et se mordre la queue, — alors surgit devant lui la forme nouvelle de la connaissance, la connaissance tragique, dont il lui est impossible de supporter seulement l’aspect, sans la protection et le secours de l’art.

Si nous tournons nos regards retrempés et réconfortés par la vision grecque vers les sphères les plus élevées du monde qui nous entoure, nous voyons cet effort de l’insatiable connaissance optimiste, dont Socrate fut la première incarnation, se transformer brusquement en un besoin de résignation tragique et d’art ; tandis que, chez les esprits