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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

nouvelle : il nous apparaît alors comme le premier qui pût non seulement vivre, mais encore — ce qui est beaucoup plus — mourir au nom de cet instinct de la science ; et c’est à cause de cela que l’image de Socrate mourant, de l’homme délivré, par le savoir et la raison, de la crainte de la mort, est l’écu armorial suspendu au portail de la science, pour rappeler à chacun que la cause finale de la science est de rendre l’existence concevable, et par cela même de la justifier : ce à quoi, naturellement, au cas que la raison ne suffise point, doit servir en fin de compte aussi le mythe, que je viens de montrer comme la conséquence inéluctable, comme le but réel de la science.

Lorsque l’on observe le spectacle offert depuis Socrate, ce mystagogue de la science, par les divers systèmes philosophiques qui, semblables aux vagues de la mer, se poursuivent et se succèdent sans trêve ; en présence de cette universelle avidité de savoir qui s’est manifestée, avec une puissance que l’on n’eût jamais soupçonnée, dans toutes les sphères du monde civilisé, et qui, s’imposant à tous comme le véritable devoir de l’homme intelligent, a porté la science à la place suprême qu’elle occupe encore, et dont on n’a pu jamais complètement parvenir à la déposséder ; devant cet universel désir de connaître, enlaçant tout le globe terrestre d’un réseau de communes pensées et rêvant même de soumettre à ses lois un système solaire tout