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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

5.

Déjà, dans la préface à Richard Wagner, c’est l’art, — et non la morale, — qui est présenté comme l’activité essentiellement métaphysique de l’homme ; au cours de ce livre se reproduit à différentes reprises cette singulière proposition, que l’existence du monde ne peut se justifier que comme phénomène esthétique. En effet, ce livre ne reconnaît, au fond de tout ce qui fut, qu’une pensée et arrière-pensée d’artiste, — un « Dieu », si l’on veut, mais, à coup sûr, un Dieu purement artiste, absolument dénué de scrupule et de morale, pour qui la création ou la destruction, le bien ou le mal sont des manifestations de son caprice indifférent et de sa toute-puissance ; qui se débarrasse, en fabriquant des mondes, du tourment de sa plénitude et de sa pléthore, qui se délivre de la souffrance des contrastes accumulés en lui-même. Le monde, l’objectivation libératrice de Dieu, perpétuellement et à tout instant consommée, en tant que vision éternellement changeante, éternellement nouvelle de celui qui porte en soi les plus grandes souffrances, les plus irréductibles conflits, les plus extrêmes contrastes, et qui ne peut s’en affranchir et se libérer que dans l’apparence ; toute cette métaphysique d’artiste peut être traitée d’arbitraire, de vaine, de fantaisiste, — l’essentiel est qu’elle trahit dès l’abord