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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

scient pour être bien ». Nous avons donc le droit de considérer Euripide comme le poète du socratisme esthétique. Et Socrate fut ce second spectateur, qui ne comprenait pas la tragédie et, à cause de cela, la méprisait ; allié à lui, Euripide osa être le héraut d’un art nouveau. Si cet art devint la perte de la tragédie, c’est le socratisme esthétique qui fut le principe meurtrier. Mais, pour autant que la lutte était dirigée contre l’esprit dionysien de l’art antérieur, nous reconnaissons en Socrate l’adversaire de Dionysos, le nouvel Orphée qui se lève contre Dionysos et, quoique certain d’être déchiré par les Ménades du tribunal athénien, force cependant le dieu tout-puissant à prendre la fuite ; et celui-ci, comme au temps qu’il fuyait devant le roi d’Edonide Lycurgue, se réfugia dans les profondeurs de la mer, c’est-à-dire sous les flots mystiques d’un culte secret qui devait peu à peu envahir le monde entier.

13.

L’étroite affinité de tendance, qui existe entre Socrate et Euripide, n’échappa pas à leurs contemporains, et le témoignage le plus éloquent de leur clairvoyance est cette légende, répandue dans Athènes, qui rapporte que Socrate avait coutume de collaborer de ses conseils aux œuvres d’Euripide. Dans les doléances des partisans du « bon vieux temps »,