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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

temple est en ruines. Que nous importent à présent les lamentations du destructeur, et son aveu que ce fut le plus beau des temples ? Et que le tribunal artistique de la postérité ait condamné Euripide, que, pour son châtiment, il ait été métamorphosé par elle en dragon, — qui pourrait se déclarer satisfait de cette misérable compensation ?

Examinons à présent cette tendance socratique par laquelle Euripide combattit et vainquit la tragédie eschyléenne.

Nous devons nous demander tout d’abord à quoi pouvait aboutir, dans son développement le plus hautement idéal, le dessein d’Euripide d’édifier le drame sur une base exclusivement non-dionysienne. Quelle forme du drame était encore possible, si celui-ci ne devait pas être engendré du giron de la musique, dans le mystérieux crépuscule de l’ivresse dionysiaque ? Uniquement celle de l’épopée dramatisée, et, dans ce domaine apollinien de l’art, il n’est certes pas possible d’atteindre à l’effet tragique. Le caractère des événements représentés importe peu dans l’espèce, et j’irais même jusqu’à prétendre que, dans sa Nausikaa inachevée, il eût été impossible à Gœthe de rendre d’une façon tragique et poignante, le suicide de cette nature idyllique — suicide qui devait être la matière du cinquième acte. Si prodigieuse est la puissance de l’art épique apollinien, qu’il transfigure à nos yeux les plus horribles choses, par cette joie que nous