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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

sosie dans ses discours. On n’en resta pas à cette satisfaction : d’Euripide, on apprit même à parler. Lorsqu’il concourut avec Eschyle, Euripide se glorifia d’avoir rendu le peuple capable désormais d’observer, d’agir et de raisonner d’après les règles de l’art et les lois les plus subtiles de la sophistique. C’est par cette transformation du langage public qu’il a réellement rendu possible la comédie nouvelle. Car, à partir de ce moment, les phrases ou les maximes par lesquelles on pouvait représenter sur la scène la vie de tous les jours ne furent plus, pour personne, un secret. La médiocrité bourgeoise, sur laquelle Euripide fondait toutes ses espérances politiques, prit alors la parole, tandis que jusque-là le demi-dieu dans la tragédie et le satyre enivré, créature demi-humaine, dans la comédie ancienne, avaient seuls déterminé le caractère du langage. Et l’Euripide d’Aristophane s’applaudit d’avoir représenté la vie commune, familière, quotidienne, accessible au jugement de chacun. Si désormais le peuple, la masse, argumente, gère pays et biens et conduit ses affaires avec une habileté jusqu’alors inconnue, c’est à lui qu’en revient le mérite, et c’est le résultat de la sagesse qu’il a inoculée au peuple. Une foule ainsi informée et préparée était mûre pour la comédie nouvelle, dont Euripide fut en quelque sorte le chef du chœur ; et, cette fois, c’était le chœur des spectateurs qu’il fallait éduquer. Lorsque celui-ci eut appris à chanter