Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

quelque chose de définitif, ce qu’Euripide a de commun avec Ménandre et Philémon, et ce qui les entraînait d’une façon si puissante à le considérer comme un modèle, il suffit de constater que, par Euripide, le spectateur se trouve transporté sur la scène. Quiconque a reconnu de quelle substance, avant Euripide, les tragiques prométhéens formaient leurs héros, et combien ils étaient éloignés de vouloir apporter sur la scène un masque fidèle de la réalité, comprendra nettement aussi l’absolue divergence des tendances d’Euripide. Par lui, l’homme de la vie quotidienne sortit des rangs des spectateurs et envahit la scène ; le miroir, qui ne reflétait jadis que des traits nobles et fiers, accusa désormais cette exactitude servile qui reproduit minutieusement aussi les difformités de la nature. Ulysse, ce type du Grec de l’art antique, est ravalé maintenant par les nouveaux poètes à la taille d’un græculus, esclave familier, espiègle et rusé qui devient, dès ce moment, le pivot de l’intérêt dramatique. Quand, dans les Grenouilles d’Aristophane, nous entendons Euripide se vanter d’avoir délivré, à l’aide de ses remèdes de bonne femme, l’art tragique de son embonpoint pompeux, nous reconnaissons que, déjà, en présence des héros de ses tragédies, nous avions ressenti la même impression. Au fond, le spectateur voyait et entendait son propre double sur la scène d’Euripide, et il se sentait tout joyeux de l’habileté déployée par ce