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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

inquiétude l’authenticité des mythes tout en se raidissant contre leur évolution et leur multiplication naturelles ; lorsque, en un mot, le sentiment du mythe dépérit pour être remplacé par la tendance de la religion à rechercher des fondements historiques. Alors, de ce mythe expirant, s’empara le génie naissant de la musique dionysienne, et, dans sa main, ce mythe s’épanouit une fois encore, comme une branche couverte de fleurs, avec des couleurs qu’on ne lui avait jamais connues et un parfum qui faisait naître enfin le pressentiment d’un monde métaphysique. Après cette dernière floraison, il meurt ; ses feuilles se flétrissent et bientôt les Luciens railleurs de l’antiquité s’efforcent d’en saisir les fleurs décolorées et fanées emportées par tous les vents. Le mythe acquiert, dans la tragédie, sa portée la plus profonde, sa forme la plus expressive ; encore une fois il se relève, comme un héros blessé, et, dans son regard brûlant, brille d’un ultime et puissant éclat le dernier regain de force, en même temps que le calme clairvoyant de la mort.

Quel était ton but, sacrilège Euripide, lorsque tu tentas d’asservir encore cet agonisant ? Il périt entre tes mains brutales ; et tu eus recours alors à un masque, une contrefaçon du mythe ; et ce pastiche, comme le singe d’Hercule, ne sut que s’attifer de la parure pompeuse de l’antiquité. Et en perdant l’intelligence du mythe, tu perdis aussi le