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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

jusqu’à ce que la main puissante de l’artiste dionysien les force à servir la nouvelle divinité. La vérité dionysienne s’empare de tout l’empire du mythe comme du symbole de sa connaissance et exprime cette connaissance soit dans le culte public de la Tragédie, soit dans les fêtes secrètes des Mystères dramatiques, mais toujours sous le voile du mythe antique. Quelle fut cette force qui délivra Prométhée de son vautour et transforma le mythe en héraut de la sagesse dionysienne ? Ce fut la force herculéenne de la musique : quand celle-ci, arrivée dans la tragédie à sa plus haute expression, est alors capable d’interpréter le mythe avec une force nouvelle et un sens plus profond ; ce que nous avons caractérisé plus haut comme la plus puissante faculté de la musique. Car c’est le sort de tout mythe de déchoir peu à peu à une réalité soi-disant historique et d’être considéré, à une époque postérieure quelconque, comme un fait isolé se réclamant de l’histoire ; et les Grecs étaient d’ores et déjà absolument enclins à transformer arbitrairement et subtilement tous les mythes rêvés par leur jeunesse en d’historiques et pragmatiques Annales de leur jeunesse. Car c’est ainsi que les religions ont coutume de mourir : lorsque les mythes qui forment la base d’une religion en arrivent à être systématisés, par la raison et la rigueur d’un dogmatisme orthodoxe, en un ensemble définitif d’événements historiques, et que l’on commence à défendre avec