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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES



149.

Critique et joie. — La critique, tant l’exclusive et l’injuste, que l’intelligente, fait à celui qui l’exerce un plaisir tel que le monde doit de la reconnaissance à toute œuvre, tout acte qui provoquent beaucoup de critiques de la part de nombreuses personnes : car la critique laisse sur son sillage une traînée étincelante de joie, d’esprit, d’admiration de soi, de fierté, d’enseignements, de bonnes résolutions. — Le dieu de la joie créa le mauvais et le médiocre pour la même raison qui lui fit créer le bien.

150.

Au delà des limites. — Lorsqu’un artiste veut être plus qu’un artiste, par exemple le prophète du réveil moral de son peuple, il finit par s’enticher — c’est là sa punition — d’un monstre de sujet moral — et cela fait rire sa muse : car la jalousie peut aussi rendre méchante cette déesse au bon cœur. Que l’on songe plutôt à Milton et à Klopstock.

151.

Œil de verre. — L’inclination du talent vers des sujets, des personnages, des motifs moraux, vers la belle âme de l’œuvre d’art ne provient souvent que d’un œil de verre que se met l’artiste qui manque d’âme : cette substitution produit parfois ce résultat très extraordinaire que cet œil finit par devenir la nature vivante, bien qu’avec un aspect un