Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
DEUXIÈME PARTIE

que, jamais artiste ait remportée —, un ouvrage qui possède au plus haut point l’apparence de « l’actualité », n’était encore au fond qu’un hommage de reconnaissance à l’égard d’une tranche du passé, à l’égard de la plus belle période de calme, calme dangereux aussi, que j’aie rencontrée pendant mon voyage en mer… et c’était effectivement une séparation, un adieu. (Richard Wagner s’y est-il peut-être trompé lui-même ? Je ne le crois pas. Tant que l’on aime encore, on ne peint certainement pas de pareilles images ; on ne « considère » pas, on ne choisit pas un poste d’observation à distance, tel que le contemplateur doit le choisir. « Pour la contemplation, un mystérieux antagonisme, celui des regards qui se croisent, est indispensable » — est-il dit à la page 46 de l’ouvrage indiqué, avec un tour de phrase traître et mélancolique qui ne s’adressait peut-être qu’à un petit nombre de personnes.) Le sang-froid qu’il fallait pour pouvoir parler de ces longues années intermédiaires, passées dans la solitude de l’âme et dans la privation, ne me vint qu’avec l’ouvrage Humain, trop humain, à quoi cette seconde introduction doit encore être consacrée. Il plane au-dessus de lui — attendu que c’est un livre dédié « aux esprits libres » — quelque chose de cette froideur presque sereine et pleine de curiosité qui est le propre du psychologue, cette froideur qui lui fait retenir une foule de choses douloureuses qui se trouvent déjà derrière lui, au-dessous de lui, pour les collectionner après coup et les fixer en quelque sorte d’une pointe d’épingle. Quoi d’étonnant si, durant un tra-