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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

de tout cela pour déduire des équivalents à des procédés d’art et il est difficile, même aux artistes les plus grands et les plus consciencieux, de s’en abstenir complètement.

122.

La bonne mémoire. — Certains ne parviennent pas à devenir des penseurs parce que leur mémoire est trop bonne.

123.

Affamer au lieu de rassasier. — De grands artistes s’imaginent qu’au moyen de leur art ils ont totalement pris possession d’une âme et que dès lors ils l’occupent entièrement : en réalité — et souvent à leur grande déception — cette âme n’en est devenue que plus vaste et plus vide, en sorte que dix grands artistes pourraient se jeter au fond sans la rassassier.

124.

Crainte de l’artiste. — De crainte de se voir objecter que leurs figures ne sorit pas vivantes, certains artistes, pourvus d’un goût qui va en s’affaiblissant, peuvent être induits à former celles-ci de façon à leur donner des apparences de folies : de même que, d’autre part, par une crainte semblable, les artistes grecs des origines, prêtèrent même à des mourants et à des hommes dangereusement blessés ce sourire qu’ils savaient être le signe le plus certain de la vie, — sans se préoccuper