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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

Or, toutes les bonnes choses des temps passés et des maîtres anciens gisent librement, entourées et gardées par la crainte vénératrice du petit nombre qui les connaît : ce génie donc ose braver le petit nombre et accumuler une richesse qui engendre, de son côté, la vénération et la crainte.

111.

Aux poètes des grandes villes. — À regarder les jardins de la poésie d’aujourd’hui, on s’aperçoit que les cloaques des grandes villes se trouvent situés trop près : le parfum des fleurs est mêlé d’émanations qui laissent deviner le dégoût et la pourriture. — Je demande avec douleur : avez-vous un si grand besoin, ô poètes, de prendre pour marraines la plaisanterie et la boue, lorsque vous voulez baptiser quelque sentiment innocent et sublime ? Faut-il absolument que vous mettiez à votre nôble déesse un masque grimaçant et diabolique ? Mais d’où viennent ce besoin et cette nécessité ? — Justement de ceci que vous habitez trop près du cloaque.

112.

Le sel du discours. — Personne n’a encore expliqué pourquoi les écrivains grecs ont fait un usage si singulièrement parcimonieux des moyens d’expression, dont ils disposaient en une si extraordinaire mesure, au point que tout livre post-grec apparaît à côté criard, bariolé et exalté. — On s’est laissé dire que, près des glaces du pôle nord, tout aussi bien que sous les tropiques, l’usage du sel