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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

des suppositions sur la façon dont disparaîtra le christianisme et sur les contrées où il cédera le pas le plus lentement, si l’on examine pour quelles raisons et où le protestantisme se propagea avec le plus d’impétuosité. On sait qu’il promit de rendre les mêmes services que ceux rendus par l’église ancienne, mais à bien meilleur compte, c’est-à-dire sans messes coûteuses, sans pèlerinages, sans pompes et richesses ecclésiastiques ; il se répandit surtout chez les nations septentrionales, ancrées moins profondément que celles du midi dans le symbolisme etle plaisir des formes, propres à l’église ancienne : dans (le christianisme de celles-ci persistait un paganisme religieux beaucoup plus puissant, tandis que, dans le nord, le christianisme signifiait une opposition et une rupture avec les vieilles coutumes domestiques et fut, dès l’abord, à cause de cela, plus intellectuel que porté vers les sens, et aussi, pour la même raison, plus fanatique et plus opiniâtre aux époques de danger. Si l’on parvient à déraciner le christianisme en l’attaquant par l’esprit, on peut prévoir où il commencera à disparaître : là précisément où il se défendra avec le plus d’âpreté. Ailleurs, il pliera, mais il ne se brisera point, il se dépouillera de ses feuilles, mais il lui en viendra de nouvelles, — parce que ce sont les sens et non point l’esprit qui ont pris parti. Mais ce sont les sens qui entretiennent aussi l’idée que, malgré tous les frais qu’exige l’église, on s’en tire à meilleur compte et plus facilement qu’avec les rapports sévères qui existent du travail au salaire : car à quel prix n’évalue-t-on pas les loisirs (ou la