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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

d’Anglais qui s’y entende mieux. Il est vrai qu’on nous trouve très, très souvent à la suite de l’homme, mais non pas dans sa domesticité. Quand l’homme appréhende la lumière, nous appréhendons l’homme : c’est la mesure de notre liberté.

Le voyageur : Ah ! la lumière appréhende encore plus souvent l’homme, et alors vous l’abandonnez aussi.

L’ombre : Je t’ai souvent abandonné à regret : pour moi qui suis jalouse de savoir, il est bien des choses dans l’homme qui sont restées obscures, parce que je ne puis être toujours à ses côtés. Au prix de la connaissance complète de l’homme, j’accepterais même d’être ton esclave.

Le voyageur : Sais-tu donc, sais-je donc si par là à ton insu, d’esclave tu ne deviendrais pas maîtresse ? Ou bien resterais-tu esclave, mais, ayant le mépris de ton maître, mènerais-tu une vie d’humiliation, de dégoût ? Contentons-nous l’un et l’autre de la liberté telle qu’elle t’est restée — à toi et à moi ! Car l’aspect d’un être sans liberté empoisonnerait mes plus grandes joies, la meilleure chose me répugnerait, si quelqu’un devait la partager avec moi, — je ne veux pas savoir d’esclaves autour de moi. C’est pourquoi je ne puis souffrir le chien, l’écornifleur fainéant qui frétille de la queue, qui n’est devenu « cynique » qu’en qualité de valet de l’homme, et qu’ils ont coutume de vanter, disant qu’il est fidèle à son maître et le suit comme son...

L’ombre : Comme son ombre, c’est ainsi qu’ils disent. Peut-être t’ai-je aujourd’hui suivi trop longtemps. C’était le jour le plus long, mais nous