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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

de joie ; et conserver ce que tu as acquis, c’est là certainement pour toi maintenant une chose plus pénible encore que n’importe quelle acquisition pénible. Tu souffres sans cesse, car tu perds sans cesse. Que te sert-il que l’on t’amène artificiellement du sang nouveau, les ventouses n’en font pas moins mal, les ventouses placées toujours sur ta nuque ! Mais, ne soyons pas injustes, il est difficile, peut-être impossible pour toi de ne pas être riche : il faut que tu conserves, que tu acquières à nouveau ; le penchant héréditaire de ta nature t’impose ce joug, — raison de plus pour ne pas nous tromper et avoir honte, loyalement et visiblement, du joug que tu portes : vu qu’au fond de ton âme tu es honteux et mécontent de le porter. Cette honte n’est pas infamante.

210.

Excès d’arrogance. — Il y a des hommes si arrogants qu’ils ne savent pas louer un grand homme qu’ils admirent, autrement qu’en le représentant comme un degré ou un passage qui mène jusqu’à eux-mêmes.

211.

Sur le terrain de la honte. — Celui qui veut enlever une idée aux hommes ne se contente généralement pas de la réfuter et d’arracher le ver de l’illogisme qui la ronge : au contraire, après avoir tué le ver, il prend le fruit tout entier et le jette dans la boue, pour le rendre vil aux yeux des hommes et leur inspirer du dégoût. C’est ainsi qu’il croit