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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

veaux, par quoi l’on peut faire du bien à la grande collectivité humaine et enfin au grand arbre fruitier de l’humanité ; et, quel que soit le dommage causé pendant ces essais aux individus, aux peuples et aux époques, il y aura toujours des individus qui y auront gagné de la sagesse, et cette sagesse se répandra lentement sur les mesures que prendront des époques et des peuples tout entiers. Les fourmis, elles aussi, errent et se trompent ; l’humanité peut fort bien périr et dessécher avant le temps, par la folie des moyens ; il n’y a ni pour l’une, ni pour les autres un sûr instinct conducteur. Il nous faut, bien au contraire, envisager face à face cette tâche grandiose qui consiste à préparer la terre pour recevoir une plante de la plus grande et de la plus joyeuse fécondité, et c’est une tâche de la raison pour la raison !

190.

L’éloge du désintéressement et son origine. — Entre deux chefs de bande voisins, l’on était depuis longtemps en querelle : on ravageait les récoltes, on enlevait les troupeaux, on incendiait les maisons, avec en somme, des succès douteux, puisque les deux puissances étaient à peu près égales. Un troisième, qui, par la situation isolée de ses domaines, pouvait se tenir loin de ces disputes, mais qui cependant avait des raisons pour craindre le jour où un de ces voisins querelleurs arriverait à une définitive prépondérance, s’entremit finalement avec bienveillance et solennité entre les deux partis en lutte : et secrètement il ajoutait à ses