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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

à risquer sa vie pour un seul sentiment agréable. Un peuple qui vit et sent ainsi n’a pas besoin des guerres.

188.

Transplantation intellectuelle et corporelle comme remède. — Les différentes cultures sont des climats intellectuels dont chacun est particulièrement nuisible ou salutaire à tel ou tel organe. L’histoire, dans son ensemble, étant la science des différentes cultures, est la science des remèdes, mais non point la thérapeutique elle-même. C’est pourquoi il faut un médecin qui utilise la science des remèdes, pour envoyer chacun dans le climat qui lui est particulièrement salutaire — pour un temps seulement, ou bien pour toujours. Vivre dans le présent, au milieu d’une seule culture, ne suffit pas comme prescription universelle, trop d’espèces d’hommes infiniment utiles qui ne peuvent pas respirer dans de bonnes conditions y périraient. À l’aide des études historiques il faut leur donner de l’air et chercher à les conserver ; les hommes des civilisations demeurées en arrière ont, eux aussi, leur valeur. À côté de cette cure de l’esprit il faut que l’humanité aspire, pour ce qui est des choses corporelles, à savoir, par une géographie médicale, quelles sont les dégénérescences et les maladies que provoque chaque contrée de la terre, et, au contraire, quels sont les facteurs de guérison qu’elle présente : il faut alors que les peuples, les familles et les individus soient transplantés sans cesse et jusqu’à ce qu’on se soit rendu maître des infirmités