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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE



185.

La mort raisonnable. — Qu’est-ce qui est plus raisonnable, arrêter la machine lorsque l’œuvre qu’on lui demandait est exécutée, — ou bien la laisser marcher jusqu’à ce qu’elle s’arrête d’elle-même, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit abîmée ? Ce dernier procédé n’est-il pas un gaspillage des frais d’entretien, un abus des forces et de l’attention de ceux qui desservent la machine ? Ne répand-on pas inutilement ce qui ailleurs serait très nécessaire ? N’est-ce pas propager une espèce de mépris à l’égard des machines en général que d’en entretenir et d’en desservir un si grand nombre inutilement ? — Je veux parler de la mort involontaire (naturelle) et de la mort volontaire (raisonnable). La mort naturelle est la mort indépendante de toute volonté, la mort proprement déraisonnable, où la misérable substance de l’écorce détermine la durée du noyau : où, par conséquent, le geôlier étiolé, malade et hébété est maître de déterminer le moment où doit mourir son noble prisonnier. La mort naturelle est le suicide de la nature, c’est-à-dire la destruction de l’être le plus raisonnable par la chose la plus déraisonnable qui y soit attachée. Ce n’est que si l’on se met au point de vue religieux qu’il peut en être autrement, parce qu’alors, comme de juste, la raison supérieure (Dieu) donne ses ordres, à quoi la raison inférieure doit se soumettre. Abstraction faite de la religion, la mort naturelle ne vaut pas une glorification. La sage disposition à l’égard de la mort appartient à la morale de l’a-