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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

prendra conscience avec une joie orgueilleuse de la distance surmontée, du rapprochement qui a eu lieu, et osera hasarder des espoirs plus hauts encore.

184.

Origine des pessimistes. — Une bouchée de bonne nourriture décide souvent si nous regardons l’avenir avec des yeux découragés ou pleins d’espoir : cela est vrai dans les choses les plus hautes et les plus intellectuelles. Le mécontentement et les idées noires ont été transmis aux générations actuelles par les faméliques de jadis. Même chez nos artistes et nos poètes, on remarque souvent, malgré l’opulence de leur vie, qu’ils ne sont pas d’une bonne origine, que leur sang et leur cerveau charrient des débris du passé, des souvenirs d’ancêtres mal nourris et opprimés leur vie durant, ce qui est visible dans leurs œuvres, dans l’objet et la couleur qu’ils ont choisis. La civilisation des Grecs est une civilisation de gens qui possèdent, dont la fortune est d’origine ancienne : ils vécurent mieux que nous à travers plusieurs générations (mieux de toute manière et, avant tout, beaucoup plus simplement au point de vue de la nourriture et de la boisson) : c’est alors que le cerveau devint à la fois si plein et si subtil, alors que le sang se mit à circuler rapidement, semblable à un joyeux vin clair. Ils produisirent donc ce qu’il y a de bien et de meilleur, non plus avec des couleurs sombres, pleins d’extase et de violence, mais avec des rayonnements de beauté et de soleil.