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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

point de vue critique il faut lui tourner le dos : il nous apportera un air impur et du mauvais temps. — Ce n’est plus notre tâche d’enseigner à de tels hommes ce que c’est qu’un vent de siroco ; ils ont Moïse et les prophètes du temps et de la raison : s’ils ne veulent pas les écouter : eh bien !…

183.

La colère et la punition viennent à leur temps. — La colère et la punition nous ont été léguées par l’espèce animale. L’homme ne s’émancipe qu’en rendant aux animaux ce cadeau de baptême. — Il y a là cachée une des plus grandes idées que les hommes puissent avoir, l’idée d’un progrès unique parmi tous les progrès. — Avançons ensemble de quelques milliers d’années, mes amis ! Beaucoup de joies sont encore réservées aux hommes, des joies dont l’odeur n’est pas encore venue jusqu’à ceux du présent. Or, nous avons le droit de nous permettre cette joie, de l’invoquer et de l’annoncer comme quelque chose de nécessaire, pourvu que le développement de la raison humaine ne s’arrête point ! Un jour viendra où l’on ne voudra plus assumer le péché logique qui se cache dans la colère et la punition, pratiquées individuellement ou en société : ce sera le jour où la tête et le cœur sauront être aussi près l’un de l’autre qu’ils sont éloignés maintenant. En jetant un regard sur la marche générale de l’humanité, on s’aperçoit assez bien qu’ils sont moins loin l’un de l’autre qu’ils l’étaient primitivement. Et l’individu qui peut embrasser d’un coup d’œil toute une existence de travail intérieur,