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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

que l’on a l’âme en détresse on s’arrache les cheveux, on se frappe le front, on se déchire les joues, ou encore que, comme Œdipe, on se crève les yeux : de même, contre de violentes douleurs physiques, on appelle en aide un sentiment de vive amertume, en se souvenant par exemple de ses calomniateurs et de ceux qui vous mettent en état de suspicion ; en obscurcissant notre avenir ; en lançant mentalement des méchancetés et des coups de poignard contre les absents. Et il est parfois vrai qu’un diable en chasse un autre, — mais c’en est alors un autre que l’on a en soi. — Voilà pourquoi il faut recommander aux malades cet autre divertissement qui semble contribuer à adoucir les douleurs : réfléchir aux bienfaits et aux gentillesses que l’on peut faire aux amis et aux ennemis.

175.

La médiocrité comme masque. — La médiocrité est le plus heureux des masques que l’esprit supérieur puisse porter, parce que le grand nombre, c’est-à-dire le médiocre, ne songe pas qu’il y a là un travestissement — : et pourtant c’est à cause de lui que l’esprit supérieur s’en sert, — pour ne point irriter et, dans des cas qui ne sont pas rares, par compassion et par bonté.

176.

Les patients. — Le pin semble écouter, le sapin semble attendre ; et tous deux écoutent sans impatience : — ils ne pensent pas à ce petit homme qui