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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

Remercions-le de préférer vivre ainsi que de s’enfuir ; mais avouons-nous aussi que, pour une époque qui apportera dans la vie des jours de fête et de joie, libres et pleins, notre grand art sera inutilisable.

171.

Les employés de la science et les autres. — On pourrait appeler « employés » les savants véritablement capables et couronnés de succès. Lorsque, dans les jeunes années, leur sagacité est suffisamment exercée, leur mémoire remplie, lorsque la main et l’œil ont pris de la sûreté, un savant plus âgé qu’eux leur assigne dans la science une place où leurs capacités peuvent être utiles ; plus tard, lorsqu’ils ont eux-mêmes acquis le regard qui leur fait voir les points faibles et les lacunes de leur science, ils se placent d’eux-mêmes aux endroits où l’on a besoin d’eux : mais il y a d’autres natures plus rares, rarement couronnées de succès et qui rarement mûrissent complètement, ce sont les hommes « à cause desquels la science existe » — il leur semble du moins à eux-mêmes qu’il en est ainsi : — des hommes souvent désagréables, souvent présomptueux, souvent entêtés, mais presque toujours quelque peu enchanteurs. Ce ne sont ni des employés ni des employeurs, ils se servent de ce que les autres ont réalisé et fixé par leur travail, avec une certaine résignation princière et des éloges médiocres et rares : comme si ceux-ci appartenaient en quelque sorte à une espèce d’êtres inférieurs. Et pourtant ils ne possèdent pas de qualités différentes