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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

joie sereine semble se rétrécir toujours davantage, la lumière paraît diminuer d’intensité et devenir plus sombre : finalement on croit entendre la musique comme si elle entrait dans une prison, où le mal du pays empêche un pauvre homme de dormir.

155.

François Schubert. — François Schubert, un artiste moindre que les autres grands musiciens, possédait cependant, plus que ceux-ci, une richesse héréditaire en musique. Il gaspilla cette richesse à pleine main et d’un cœur généreux : en sorte que les musiciens pourront encore vivre pendant quelques siècles de ses idées et de ses inventions. Dans son œuvre nous possédons un trésor d’inventions inutilisées. — Si l’on osait appeler Beethoven l’auditeur idéal d’un ménestrel, Schubert aurait le droit d’être appelé lui-même le ménestrel idéal.

156.

La diction musicale la plus moderne. — La grande diction tragico-dramatique dans la musique acquiert son caractère par l’imitation des gestes du grand pécheur, tel que le christianisme imagine et souhaite celui-ci : de l’être qui marche à pas lents, méditant avec passion, agité par les tortures de la conscience, fuyant tantôt avec épouvante, tantôt s’arrêtant avec désespoir, ou encore les mains tendues dans le ravissement — et quels que soient les autres signes du grand état de péché. Mais le chrétien admet que tous les hommes sont de grands pécheurs et ne font que pécher sans cesse, et cette