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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

règles dans le récit épique, au milieu desquelles il lui fallut danser : et lui-même ajouta, de son propre chef, de nouvelles conventions pour ceux qui allaient venir. Ce fut là l’école éducatrice des poètes grecs : se laisser imposer d’abord, par les poètes précédents, une contrainte multiple ; puis ajouter l’invention d’une contrainte nouvelle, s’imposer cette contrainte et la vaincre avec grâce : afin que soient remarquées et admirées la contrainte et la victoire.

141.

Ampleur des écrivains. — La dernière chose qui vient à un bon écrivain, c’est l’ampleur ; celui qui l’apporte avec lui ne sera jamais un bon écrivain. Les plus nobles chevaux de course sont maigres, jusqu’à ce qu’ils puissent se reposer de leurs victoires.

142.

Héros essoufflés. — Les poètes et les artistes qui souffrent d’étroitesse dans les sentiments font haleter leurs héros le plus longtemps : ils ne s’entendent pas à respirer facilement.

143.

Les demi-aveugles. — Le demi-aveugle est l’ennemi né de tous les écrivains qui se laissent aller. Quelle colère le prend en fermant un livre où il s’est aperçu que l’auteur a besoin de cinquante pages pour faire part de cinq idées : il est furieux d’avoir mis en danger, presque sans récompense, ce qui lui reste d’yeux. — Un demi-aveugle disait