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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

la montagne, nus ou boisés, ne semblent pas s’incliner, mais couler dans les profondeurs. Devant ce spectacle, on éprouve les angoisses de l’attente, comme si derrière tout cela se cachait quelque chose d’hostile qui pousserait à la fuite et dont l’abîme seul pourrait nous protéger. Il n’est pas possible de peindre cette contrée, à moins que l’on ne plane au-dessus d’elle, dans l’air libre, comme un oiseau. Ce que l’on appelle la perspective à vol d’oiseau n’est donc pas ici le bon plaisir de l’artiste, mais le seul procédé possible.

139.

Comparaisons hasardeuses. — Lorsque les comparaisons hasardeuses ne sont pas la preuve de la malice d’un écrivain, elles sont la preuve de son imagination épuisée. Mais dans tous les cas elles témoignent de son mauvais goût.

140.

Danser dans les chaînes. — En face de chaque artiste, poète ou écrivain grec il faut se demander : quelle est la nouvelle contrainte qu’il s’impose et qu’il rend séduisante aux yeux de ses contemporains (pour trouver ainsi des imitateurs) ? Car ce que l’on appelle « invention » (sur le domaine métrique par exemple) est toujours une de ces entraves que l’on se met à soi-même. « Danser dans les chaînes » : regarder les difficultés en face, puis étendre dessus l’illusion de la facilité, — c’est là le tour de force qu’ils veulent nous montrer. Chez Homère déjà on remarque une série de formules transmises et de