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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

sitions en prose — à tous les points de vue un modèle pour montrer la façon dont il ne faut pas s’attaquer aux questions scientifiques de l’esthétique et de la morale, — et aussi un danger pour les jeunes lecteurs qui, dans leur admiration pour le poète Schiller, n’ont pas le courage d’estimer peu le penseur et l’écrivain Schiller. La tentation qui s’empare si facilement de l’artiste, tentation pardonnable entre toutes, de passer une fois, lui aussi, sur une prairie qui lui est interdite et de dire son mot dans la science — car le plus brave trouve parfois son métier et son atelier insupportables — cette tentation est si forte chez l’artiste qu’il veut montrer à tout le monde ce que personne n’a besoin de voir, à savoir : que son petit « pensoir » est étroit et désordonné, — qu’importe ! il n’y habite pas ! — que les greniers de son savoir sont vides, à moitié pleins de fatras — pourquoi non ? l’enfant-artiste s’en accommode même fort bien —, et surtout que, pour les plus faciles pratiques de la méthode scientifique, familières même aux commençants, ses membres sont trop peu exercés et pas assez agiles — et de cela aussi il n’a certainement pas besoin d’avoir honte ! — Par contre il déploie parfois un art considérable à imiter tous les défauts, tous les travers et les mauvaises habitudes savantes que l’on trouve dans la corporation scientifique, avec l’idée que cela fait partie, sinon du sujet lui-même, du moins de l’apparence du sujet ; et c’est là précisément ce qu’il y a de réjouissant dans de pareils écrits d’artiste : l’artiste y fait sans le vouloir ce qui est en somme son métier : parodier les natures scientifiques et