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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

savent pas que les bonnes expressions et les bonnes idées ne se présentent bien que parmi leurs semblables et qu’une excellente citation peut anéantir des pages entières et même tout un livre, lorsque l’on avertit le lecteur en ayant l’air de lui dire : « Prends garde, je suis la pierre précieuse et autour de moi il y a du plomb, du plomb gris et misérable. » Chaque mot, chaque pensée ne veut vivre que dans sa société : ceci est la morale du style choisi.

112.

Comment doit-on dire les erreurs ? — On peut discuter pour savoir s’il est plus nuisible de mal exprimer les erreurs, ou de les exprimer aussi bien que les meilleures vérités. Il est certain que dans le premier cas elles nuisent au cerveau d’une double manière et qu’il est plus difficile de les en extirper ; mais il est certain qu’elles agissent avec moins de certitude que dans le second cas : elles sont moins contagieuses.

113.

Restreindre et agrandir. — Homère a réduit et amoindri l’étendue du sujet, mais il a amplifié et fait sortir d’elles-mêmes les différentes scènes — et c’est ainsi que, plus tard, procédèrent toujours à nouveau les poètes tragiques : chacun saisit le sujet dans des fragments encore plus petits que son prédécesseur, mais chacun aboutit à une floraison plus riche encore, dans les limites strictes de ces paisibles haies de jardin.