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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

de son regard provoquant et nullement dévot, s’adresse aux spectateurs du tableau comme pour leur insinuer : « N’est-ce pas ? cette mère et son enfant, c’est un spectacle plein d’agrément et d’invite ? » Ce visage et ce regard jettent un reflet de joie sur la figure de ceux qui les regardent ; c’est une façon de jouir de soi-même pour l’artiste qui a inventé tout cela, et il ajoute sa propre joie à la joie de ceux qui jouissent de son art. — Pour l’expression « messianique » dans la tête d’un enfant, Raphaël, l’homme loyal qui ne voulait pas peindre les états d’âme à l’existence desquels il ne croyait pas, s’entendit à circonvenir d’une façon aimable ses admirateurs croyants ; il peignit ce jeu de la nature qui n’est point rare, l’œil de l’homme sur la tête de l’enfant, cet œil de l’homme brave et secourable qui s’aperçoit d’une misère. Pour des yeux pareils il faut une barbe ; l’absence de celle-ci et la réunion de deux âges différents qui s’expriment dans un même visage, voilà le paradoxe agréable que les croyants ont interprété dans le sens de la croyance au miracle : mais l’artiste attendait cela de leur art d’interprétation et de substitution.

74.

La prière. — À deux conditions seulement, la prière — cette coutume de temps reculés qui n’est pas encore entièrement éteinte — peut avoir un sens : il faudrait d’abord qu’il fût possible de déterminer ou de changer le sentiment de la divinité, et ensuite que celui qui prie sache bien ce qui lui man-