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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

nature intérieure, le monde moral et intellectuel. Le sentiment humain s’est chargé d’infiniment de douleurs, d’empiétements, de duretés, d’aliénations, de refroidissements par le fait que l’on croyait voir des contrastes où il n’y a que des transitions.

68.

Si l’on peut pardonner. — Comment pourrait-on leur pardonner s’ils ne savent pas ce qu’ils font ! Il n’y a alors rien du tout à pardonner. — Mais un homme sait-il jamais complètement ce qu’il fait ? Et si son action reste au moins toujours problématique, les hommes n’auraient jamais rien à se pardonner et faire grâce deviendrait pour l’homme raisonnable une chose impossible. En fin de compte, si les criminels avaient vraiment su ce qu’ils ont fait — nous n’aurions encore le droit de pardonner que si nous avions un droit d’accuser et de punir. Mais ce droit nous ne l’avons pas.

69.

Honte habituelle. — Pourquoi éprouvons-nous de la honte lorsque l’on nous attribue une faveur et une distinction que, selon l’expression courante, « nous n’avons pas méritées ». Il nous semble alors que l’on nous pousse dans un domaine où nous ne sommes pas à notre place, d’où nous devrions être exclus, en quelque sorte dans un lieu saint ou très saint que notre pas ne devrait pas franchir. Par une erreur des autres nous y avons pénétré quand même : et maintenant nous sommes subjugués, soit par la crainte, soit par la vénération, et nous ne savons