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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

— Ce sont là des degrés assez grossièrement taillés, mais des degrés larges, attendu que les hommes ne s’entendent pas encore à poser leur pied sur des degrés plus étroits et plus délicats. Vient ensuite une morale du penchant, du goût, et enfin celle de l’intelligence — qui est au-dessus de tous les motifs illusionnaires de la morale, mais qui s’est rendu compte que longtemps il n’a pas été possible à l’humanité d’en avoir d’autres.

45.

La morale de la compassion dans la bouche des immodérés. — Tous ceux qui ne se possèdent pas assez eux-mêmes et qui ne voient pas dans la moralité une constante domination de soi exercée sans cesse, en grand et en petit, deviennent involontairement les glorificateurs des impulsions de bonté, de compassion et de bienveillance, particulières à cette moralité instinctive qui ne possède point de tête, mais qui semble être composée seulement d’un cœur et de mains secourables. C’est même dans leur intérêt de mettre en suspicion une moralité de la raison et de vouloir donner une valeur universelle à cette autre moralité.

46.

Cloaques de l’âme. — L’âme elle aussi doit avoir ses cloaques particuliers où elle fait écouler ses immondices. Bien des choses peuvent servir à cela : des personnes, des relations, des classes sociales, peut-être la patrie, ou encore le monde, ou enfin