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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

que cette égalité reconnue par l’homme soit aussi reconnue par la nature et le hasard, elles s’indignent que les égaux n’aient pas le même sort.

30.

Jalousie des dieux. — La « jalousie des dieux » naît lorsque quelqu’un qui est estimé inférieur se met en parité avec quelqu’un de supérieur (tel Ajax), ou, lorsque par une faveur du destin cette mise en parité se fait d’elle-même (Niobé, mère trop heureuse). Dans l’ordre social, cette jalousie exige que personne n’ait de mérite au-dessus de sa situation, aussi que le bonheur soit conforme à celle-ci, et encore que la conscience de soi ne sorte pas des limites tracées par la condition. Souvent le général victorieux subit la « jalousie des dieux », et aussi le disciple lorsqu’il a créé une œuvre de maître.

31.

La vanité comme surpousse d’un état antisocial. — Les hommes ayant décrété qu’ils sont tous égaux, pour des raisons de sûreté personnelle, en vue de former une communauté, mais cette conception étant en somme contraire à la nature de chacun et apparaissant comme quelque chose de forcé, plus la sécurité générale est garantie, plus de nouvelles pousses du vieil instinct de prépondérance commencent à se montrer : dans la délimitation des castes, dans les prétentions aux dignités et aux avantages professionnels, et en général dans les affaires de vanité (manières, cos-