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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

s’arrêter au criminel lorsque l’on punit le passé : on devrait s’en tenir à chaque cas particulier, lorsque l’on ne veut pas admettre que toute faute est absolument excusable, et ne point regarder en arrière : il s’agirait donc d’isoler la faute et de ne la rattacher en aucune façon à ce qui l’a précédée, — autrement ce serait pécher contre la logique. Tirez plutôt, vous qui êtes partisans du libre arbitre, la conclusion qui découle nécessairement de votre doctrine et décrétez bravement : « nul acte n’a un passé ».

29.

La jalousie et sa sœur plus noble. — Dès que l’égalité est véritablement reconnue et fondée d’une façon durable, naît un penchant qui passe en somme pour immoral et qui, à l’état primitif, serait à peine imaginable : la jalousie. L’envieux se rend compte de toute prééminence de son prochain au-dessus de la mesure commune et il veut l’y ramener — ou encore s’élever, lui, jusque-là : d’où il résulte deux façons d’agir différentes, qu’Hésiode a désignées du nom de bonne et de mauvaise Éris. De même, dans l’état d’égalité, naît l’indignation de voir qu’une personne qui se trouve à un niveau d’égalité différent a du malheur moins qu’elle n’en mériterait, tandis qu’une autre personne a du bonheur plus qu’elle n’est digne d’en avoir : ce sont là des émotions particulières aux natures plus nobles. Celles-ci cherchent en vain la justice et l’équité dans les choses qui sont indépendantes de la volonté des hommes : c’est-à-dire qu’elles exigent