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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

supériorité serait préférable si l’on devenait alors assez fort pour anéantir la puissance adverse : et lorsqu’il s’agit d’un seul destructeur puissant, c’est certainement ce que l’on tentera. Mais cet ennemi est peut-être le chef d’une lignée ou bien il possède un grand nombre d’adhérents, alors la destruction rapide et définitive sera peu probable et il faudra s’attendre à de longues hostilités qui apporteraient à la communauté l’état le moins désirable, parce que celle-ci perdrait ainsi le temps qui lui est nécessaire pour veiller régulièrement à son entretien et qu’elle verrait sans cesse menacé le produit de son travail. C’est pourquoi la communauté préfère mettre sa puissance de défense et d’attaque exactement à la hauteur où se trouve la puissance du voisin dangereux et lui donner à entendre que, ses armes valant dès lors les siennes, il n’y a pas de raison pour ne pas être bons amis. — L’équilibre est donc une notion très importante pour les anciens principes de justice et de morale ; l’équilibre est la base de la justice. Si, aux époques barbares, celle-ci dit « œil pour œil, dent pour dent », elle considère l’équilibre comme atteint et veut conserver cet équilibre au moyen de cette faculté de rendre la pareille : de telle sorte que, si l’un commet un délit au détriment de l’autre, l’autre ne pourra plus exercer sa vengeance avec une colère aveugle. Grâce à la loi du talion l’équilibre entre les puissances, qui avait été détruit, est rétabli : car un œil, un bras de plus, dans ces conditions primitives, c’est une somme de pouvoir, un poids de plus. — Dans