Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

la cause la plus visible qui nous fait croire à cette isolation de groupes d’actions : nous ne nous en servons pas seulement pour désigner les choses, nous croyons originairement que par eux nous en saisissons l’essence. Les mots et les idées nous mènent maintenant encore à nous représenter constamment les choses comme plus simples qu’elles ne sont, séparées les unes des autres, indivisibles, ayant chacune une existence en soi et pour soi. Il y a, cachée dans le langage, une mythologie philosophique qui à chaque instant reparaît, quelques précautions qu’on prenne. La croyance au libre arbitre, c’est-à-dire la croyance aux faits identiques et aux faits isolés, — possède dans le langage un apôtre et un représentant perpétuel.

12.

Les erreurs fondamentales. — Pour que l’homme ressente un plaisir ou un déplaisir moral quelconque, il faut qu’il soit dominé par une de ces deux illusions : ou bien il croit à l’identité de certains faits, de certains sentiments : alors il a, par la comparaison d’états actuels avec des états antérieurs et par l’identification ou la différenciation de ces états (telle qu’elle a lieu dans tout souvenir) un plaisir ou un déplaisir moral ; ou bien il croit au libre arbitre, par exemple quand il pense : « Je n’aurais pas dû faire cela », « cela aurait pu finir autrement », et par là prend également du plaisir ou du déplaisir. Sans les erreurs qui agissent dans tout plaisir ou déplaisir moral, jamais il ne se serait produit une humanité — dont le sentiment fondamental est et restera que