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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

quoi l’individu est fort, ce dans quoi il se sent animé de vie, il croit involontairement que cela doit être aussi l’élément de sa liberté : il met ensemble la dépendance et la torpeur, l’indépendance et le sentiment de vivre comme des couples inséparables. — En ce cas, une expérience que l’homme a faite sur le terrain politique et social est transportée à tort sur le terrain métaphysique transcendant : c’est là que l’homme fort est aussi l’homme libre, c’est là que le sentiment vivace de joie et de souffrance, la hauteur des espérances, la hardiesse du désir, la puissance de la haine sont l’apanage du souverain et de l’indépendant, tandis que le sujet, l’esclave, vit, opprimé et stupide. — La théorie du libre arbitre est une invention des classes dirigeantes.

10.

Ne pas sentir de nouvelles chaînes. — Tant que nous ne nous sentons pas dépendre de quelque chose, nous nous tenons pour indépendants : conclusion erronée qui montre quel est l’orgueil et la soif de domination de l’homme. Car il admet ici qu’en toutes circonstances il doit remarquer et reconnaître sa dépendance, aussitôt qu’il la subit, par suite de l’idée préconçue qu’à l’ordinaire il vit dans l’indépendance et que, s’il vient à la perdre exceptionnellement, il sentira sur-le-champ un contraste d’impression. — Mais quoi ? si c’était le contraire qui fût vrai : qu’il vécût toujours dans une multiple dépendance, mais qu’il se tînt pour libre là où, par une longue accoutumance, il ne