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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

— Une fâcheuse conséquence de cette double hypocrisie n’en reste pas moins, qu’on ne fait pas des choses prochaines, par exemple du manger, de l’habitation, de l’habillement, des relations sociales l’objet d’une réflexion et réforme continuelle, libre de préjugés et générale, mais que, la chose passant pour dégradante, on en détourne son application intellectuelle et artistique : si bien que d’un côté l’accoutumance et la frivolité remportent sur l’élément inconsidéré, par exemple sur la jeunesse sans expérience, une victoire aisée, tandis que de l’autre nos continuelles infractions aux lois les plus simples du corps et de l’esprit nous mènent tous, jeunes et vieux, à une honteuse dépendance et servitude, — je veux dire à cette dépendance, au fond superflue, des médecins, professeurs et curateurs des âmes, dont la pression s’exerce toujours, maintenant encore, sur la société tout entière.

6.

L’imperfection terrestre et sa cause principale. — Quand on regarde autour de soi, on tombe sans cesse sur des hommes qui ont toute leur vie mangé des œufs sans remarquer que les plus allongés sont les plus friands, qui ne savent pas qu’un orage est profitable au ventre, que les parfums sont le plus odorants dans un air froid et clair, que notre sens du goût n’est pas le même dans toutes les parties de la bouche, que tout repas où l’on dit ou écoute de bonnes choses porte préjudice à l’estomac. On aura beau ne pas être satisfait de ces exemples du manque d’esprit d’observation : on n’en devra que plus