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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

obstacle contre l’école privée ou l’éducation particulière que l’État a spécialement en haine, il s’assure la disposition d’un très grand nombre de places qui sont convoitées sans cesse par un nombre certainement cinq fois supérieur à celui qu’on pourrait satisfaire, d’yeux avides et quémandeurs. Mais ces situations ne devront nourrir leur homme que très maigrement : c’est ainsi que l’État entretient chez lui la soif fiévreuse de l’avancement et le lie plus étroitement encore aux intentions gouvernementales. Car il vaut mieux entretenir un mécontentement bénin, bien préférable à la satisfaction, mère du courage, grand’mère de la liberté d’esprit et de la présomption. Au moyen de ce corps enseignant, matériellement et intellectuellement tenu en bride, on élève alors, tant bien que mal, toute la jeunesse du pays, à un certain niveau d’instruction utile à l’État, et gradué selon le besoin : avant tout, l’on transmet presque imperceptiblement aux esprits faibles, aux ambitieux de toutes les conditions, l’idée que seule une direction de vie reconnue et estampillée par l’État vous amène immédiatement à jouer un rôle dans la société. La croyance aux examens d’État et aux titres conférés par l’État va si loin que, même des hommes qui se sont formés d’une façon indépendante, qui se sont élevés par le commerce ou par l’exercice d’un métier gardent unepointe d’amertume au cœur, tant que leur situation n’a pas été reconnue d’en haut par une investiture officielle, un titre ou une décoration, — jusqu’à ce qu’ils puissent « se faire voir ». Enfin l’État associe la nomination aux mille et mille fonc-