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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

der celui qui a de l’esprit : autrement, la fortune est un danger public. Car celui qui possède, lorsqu’il ne s’entend pas à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera toujours à vouloir acquérir du bien : cette aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans la lutte avec l’ennui. C’est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait à l’homme intellectuel, se transforme en véritable richesse, résultat trompeur de dépendance et de pauvreté intellectuelles. Cependant, le riche apparaît tout autrement que pourrait le faire attendre son origine misérable, car il peut prendre le masque de la culture et de l’art : il peut acheter ce masque. Par là il éveille l’envie des plus pauvres et des illettrés — qui jalousent en somme toujours l’éducation et qui ne voient pas que celle-ci n’est qu’un masque — et il prépare ainsi peu à peu un bouleversement social : car la brutalité sous un vernis de luxe, la vantardise de comédien, par quoi le riche fait étalage de ses « jouissances de civilisé », évoquent, chez le pauvre, l’idée que « l’argent seul importe », — tandis qu’en réalité, si l’argent importe quelque peu, l’esprit importe bien davantage.

311.

Le plaisir de commander et d’obéir. — Commander fait plaisir tout autant qu’obéir, la première chose lorsqu’elle n’est pas encore entrée dans les habitudes, la seconde lorsqu’elle est tout à fait entrée dans les habitudes. Les vieux serviteurs et les nouveaux maîtres s’encouragent réciproquement à faire plaisir.