tenant… après cet adieu ; comment pourrait-on
continuer à vivre sans devenir fou ! » — Ces deux
erreurs fondamentales de sa vie donnèrent à Gœthe,
en face d’une prise en considération purement
littéraire de la poésie, telle que le monde la connaissait
seul alors, une attitude si libre de toute
prévention et presque arbitraire. Sauf l’époque où
Schiller — le pauvre Schiller qui n’avait pas le
temps et ne laissait pas de temps — le fit sortir de
cette farouche abstinence devant la poésie, de cette
crainte de tout esprit et de tout métier littéraire, —
Goethe apparaît comme un Grec qui visite de temps
en temps une bien-aimée, sans savoir au juste si ce
n’est pas peut-être une déesse à qui il ne sait pas
donner son nom véritable. Toute son œuvre poétique
se ressent de cet effleurement intime de la
nature : les traits de ses fantômes qui s’agitaient
devant ses yeux — et peut-être crut-il toujours être
sur les traces des métamorphoses d’une déesse —
devinrent involontairement, chez lui, les traits de
tous les enfants de son art. Sans le détour de l’erreur
il ne serait pas devenu Gœthe : c’est-à-dire le
seul Allemand, artiste du verbe, qui ne soit pas
encore vieilli aujourd’hui,— parce qu’il voulait être
aussi peu écrivain qu’Allemand par métier.
Les voyageurs et leurs degrés. — Il faut distinguer cinq dégrés parmi les voyageurs : ceux du premier degré, qui est le degré inférieur, sont les voyageurs que l’on voit, — à vrai dire on les voyage et ils sont aveugles en quelque sorte ; les sui-