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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

toujours, c’est que partout où l’on doit adorer, l’ancienne forme de laideur est conservée et scrupuleusement imitée. Mais l’Hellène qui sanctifie et donne en abondance peut dès lors suivre, dans toute sa béatitude, la joie de laisser Dieu devenir homme.

223.

Où il faut partir en voyage. — L’observation directe de soi est loin de suffire pour apprendre à se connaître : nous avons besoin de l’histoire, car le passé répand en nous ses mille vagues ; nous-mêmes nous ne sommes pas autre chose que ce que nous ressentons à chaque moment de cette continuité. Là aussi, lorsque nous voulons descendre dans le fleuve de ce que notre nature possède en apparence de plus original et de plus personnel, il faut nous rappeler l’axiome d’Héraclite : on ne descend pas deux fois dans le même fleuve. — C’est là une vérité qui, quoique relâchée, est demeurée aussi vivante et fécondeque jadis, de même que cette autre vérité que, pour comprendre l’histoire, il faut rechercher les vestiges vivants d’époques historiques — c’est-à-dire qu’il faut voyager, comme voyageait le vieil Hérodote et s’en aller chez les nations — car celles-ci ne sont que des échelons fixes de cultures anciennes sur lesquels on peut se placer ; — il faut se rendre surtout auprès des peuplades dites sauvages et demi-sauvages, où l’homme a enlevé l’habit d’Europe ou ne l’a pas encore endossé. Mais il y a un art de voyager plus subtil encore, qui n’exige pas toujours que l’on erre de lieu en lieu et que l’on parcoure des milliers de kilomètres.