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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

offraient de temps en temps quelque chose comme des fêtes à toutes leurs passions et à tous leurs mauvais penchants, et qu’ils avaient même institué, par voie d’État, une sorte de réglementation pour célébrer ce qui était chez eux trop humain : c’est là ce qu’il y a de vraiment païen dans leur monde, quelque chose qui, au point de vue du christianisme, ne pourra jamais être compris et sera toujours combattu violemment. — Ils considéraient leur « trop humain » comme quelque chose d’inévitable, et préféraient, au lieu de le calomnier, lui accorder une espèce de droit de second ordre, en l’introduisant dans les usages de la société et du culte : ils allaient même jusqu’à appeler divin tout ce qui avait de la puissance dans l’homme, et ils l’inscrivaient aux parois de leur ciel. Ils ne nient point l’instinct naturel qui se manifeste dans les mauvaises qualités, mais ils le mettent à sa place et le restreignent à certains jours, après avoir inventé assez de précautions pour pouvoir donner à ce fleuve impétueux un écoulement aussi peu dangereux que possible. C’est là la racine de tout le libéralisme moral de l’antiquité. On permettait une décharge inoffensive à ce qui persistait encore de mauvais, d’inquiétant, d’animal et de rétrograde dans la nature grecque, à ce qui y demeurait de baroque, de pré-grec et d’asiatique, on n’aspirait pas à la complète destruction de tout cela. Embrassant tout le système de pareilles ordonnances, l’État n’était pas construit en vue de certains individus et de certaines castes, mais en vue des simples qualités humaines. Dans son édifice,