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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE



211.

Esprits à libre cours. — Qui d’entre nous oserait s’appeler libre esprit s’il ne voulait pas rendre hommage, à sa façon, aux hommes qui reçurent ce nom pour leur faire injure, en chargeant lui aussi sur ses épaules sa part de ce fardeau de la vindicte et de la honte publiques ? Mais nous avons aussi le droit de nous appeler « esprits à libre cours », et cela sérieusement (sans aucun défi hautain ou généreux), parce que ce cours vers la liberté est l’instinct le plus prononcé de notre esprit et qu’en opposition avec les intelligences liées et enracinées, nous voyons presque notre idéal dans une espèce de nomadisme intellectuel, — pour me servir d’une expression modeste et presque dénigrante.

212.

Oui, la faveur des muses. — Ce qu’en dit Homère va droit au cœur, tant c’est vrai et, terrible tout à la fois : « La muse l’aimait plus que tout, et elle lui avait donné de connaître le bien et le mal, et, l’ayant privé des yeux, elle lui avait accordé le chant admirable[1]. » — C’est là un texte sans fin pour celui qui sait réfléchir : elle donne le bien et le mal, voilà son tendre amour ! Et chacun interprétera à sa façon pourquoi il faut que nous autres poètes et penseurs nous y laissions nos yeux.

  1. Homère, Odyssée, chant VIII. — N. d. T.