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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

ce dont la nature a besoin pour subsister est si vaste et absorbe des forces si diverses et si nombreuses que, pour chaque avantage accordé d’une part, soit à la science, soit à l’État, soit à l’art, soit au commerce, où tendent ces individus, l’humanité est d’autre part obligée de pâtir. Ce fut toujours la plus grande calamité de la culture, lorsque l’on se mit à adorer des hommes et, dans ce sens, on peut être d’accord avec l’axiome de la loi mosaïque qui défend d’avoir d’autres dieux à côté de Dieu. — Au culte du génie et de la force, il faut toujours opposer, comme complément et comme remède, le culte de la culture : lequel sait accorder aussi, à ce qui est grossier, médiocre, bas, méconnu, faible, imparfait, incomplet, boiteux, faux, hypocrite, et même à ce qui est méchant et terrible, de l’estimé et de la compréhension, et faire l’aveu que tout cela est nécessaire. Car l’harmonie et le développement de ce qui est humain, à quoi l’on est parvenu par d’étonnants travaux et coups de hasard qui sont autant l’œuvre de cyclopes et de fourmis que de génies, ne doivent plus être perdus : comment pourrions-nous donc nous passer de la base fondamentale, profonde et souvent inquiétante, sans laquelle la mélodie ne saurait être mélodie ? —

187.

L’ancien monde et la joie. — Les hommes de l’ancien monde savaient mieux se réjouir : nous nous entendons à nous attrister moins ; ceux-là découvraient toujours de nouvelles raisons pour goûter leur bien-être et pour célébrer des fêtes, ils