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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

un état d’illumination religieuse : — tandis qu’en réalité il ne dit que ce qu’il a appris, la sagesse populaire et la folie populaire confondues. Donc : en tant que le poète est véritablement vox populi, il passe pour être vox dei.

177.

Ce que tout art veut et ne veut pas. — La dernière tâche de l’artiste, la tâche la plus difficile, c’est la description de l’immuable, de ce qui repose en soi, supérieur et simple, loin de tout charme particulier ; c’est pourquoi les plus belles figurations de la perfection morale sont rejetées par les artistes plus faibles, comme des ébauches inartistiques, parce que l’aspect de tels fruits est trop pénible pour leur ambition : ils voient apparaître ceux-ci aux extrêmes rameaux de l’art, mais ils manquent d’échelle, de courage et de pratique pour oser s’aventurer si haut. En soi, il n’y a pas d’objection à la venue d’un Phidias poète, mais, si l’on considère la capacité moderne, ce sera seulement dans ce sens qu’à Dieu « nulle chose n’est impossible ». Le désir d’un Claude Lorrain, dans le domaine de la poésie, est actuellement déjà un manque de modestie, quelle que soit l’aspiration qui vous y pousse. Nul artiste n’a été jusqu’à présent à la hauteur de cette lâche : la description de l’homme le plus grand, c’est-à-dire le plus simple et en même temps le plus complet ; mais peut-être les Grecs, dans leur idéal d’une Pallas Athéné, ont-ils jeté leur regard plus loin que les hommes ont fait jusqu’à présent.