Vouloir se venger et se venger. — Avoir une
pensée de vengeance et la réaliser, c’est prendre
un fort accès de fièvre, mais qui passe : avoir une
pensée de vengeance, sans la force ni le courage de
la réaliser, c’est traîner un mal chronique, un empoisonnement du corps et de l’âme. La morale, qui
ne regarde qu’aux intentions, taxe les deux cas de
la même façon ; vulgairement, on taxe le premier
cas comme le pire (à cause des mauvaises conséquences que peut entraîner le fait de se venger).
L’une et l’autre appréciation sont à courte vue.
Savoir attendre. — Savoir attendre est si difficile que les plus grands poètes n’ont pas dédaigné de prendre pour sujet de leur poème le fait de ne savoir pas attendre. Ainsi Shakespeare dans Othello, Sophocle dans Ajax le suicide d’Ajax ne lui aurait plus paru nécessaire, s’il avait laissé refroidir son impression seulement un jour, comme l’indique l’oracle ; vraisemblablement, il aurait fait la nique aux terribles insinuations de la vanité blessée et se serait dit à lui-même : Qui donc n’a pas, dans ma situation, pris un mouton pour un héros ? Est-ce donc là quelque chose de monstrueux ? au contraire, ce n’est qu’un fait généralement humain : Ajax