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HUMAIN, TROP HUMAIN


des actions, mais non des sentiments, car ceux-ci sont involontaires. Qui promet à quelqu’un de l’aimer toujours, ou de le haïr toujours, ou de lui être toujours fidèle, promet quelque chose qui n’est pas en son pouvoir ; ce qu’il peut bien promettre, c’est des actions qui, à la vérité, sont ordinairement les conséquences de l’amour, de la haine, de la fidélité, mais qui peuvent aussi provenir d’autres motifs, car à une seule action mènent des chemins et des motifs divers. La promesse d’aimer quelqu’un toujours signifie donc : tant que je t’aimerai, je te montrerai les actions de l’amour ; si je ne t’aime plus, tu continueras néanmoins à recevoir de moi les mêmes actions, quoique pour d’autres motifs : en sorte que dans la tête des autres hommes persiste l’apparence que l’amour serait immuable et toujours le même. — On promet ainsi la persistance de l’apparence de l’amour, lorsque, sans s’aveugler soi-même, on promet à quelqu’un un amour éternel.

59.

Intelligence et morale. — Il faut avoir une bonne mémoire pour être capable de tenir les promesses qu’on a faites. Il faut avoir une grande force d’imagination pour être capable d’éprouver de la compassion. Tant la morale est étroitement liée à la bonté de l’intelligence.