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HUMAIN, TROP HUMAIN


cette austère persévérance de travail qui ne se lasse jamais d’entasser pierre sur pierre, caillou sur caillou, c’est la vaillance qui permet de ne pas rougir d’une besogne si modeste et de braver tout le dédain qu’elle peut inspirer. Enfin voici qui est encore une vérité: nombre de remarques isolées sur l’humain et le trop humain ont été d’abord découvertes et exposées dans des sphères de la société qui étaient accoutumées à faire par là toutes sortes de sacrifices, non pas à la recherche scientifique, mais à un spirituel désir de plaisir ; et l’odeur de cette ancienne patrie de la maxime morale — odeur très séduisante — s’est presque indissolublement attachée au genre tout entier : si bien que, pour son compte, l’homme de science laisse involontairement voir quelque méfiance contre ce genre et sa valeur sérieuse. Mais il suffit d’indiquer les conséquences : car dès maintenant on commence à voir quels résultats de la nature la plus sérieuse naissent sur le sol de l’observation psychologique. Qu’est-ce, après tout, que le principe auquel est arrivé un des penseurs les plus hardis et les plus froids, l’auteur du livré Sur l’origine des sentiments moraux[1], grâce à ses analyses incisives et décisives de la conduite humaine? « L’homme moral, dit-il, n’est pas plus proche du monde intelligible (métaphysique) que l’homme physique. » Cette proposition, née avec sa dureté et

  1. Le Dr Paul Rée.