pût se trahir ? Ce n’est pas dans le roman, la nouvelle, et les études philosophiques, — elles sont
l’œuvre d’hommes exceptionnels ; c’est déjà davantage dans les jugements portés sur les événements
et les personnalités publiques : mais où manque
avant tout l’art de l’analyse et du calcul psychologique, c’est dans la société de toutes conditions, où
l’on parle bien des hommes, mais pas du tout de l’homme.
Pourquoi laisse-t-on échapper la plus
riche et la plus innocente matière d’entretien? Pourquoi ne lit-on plus jamais les grands maîtres de la
maxime psychologique ? — car, soit dit sans aucune
exagération, l’homme cultivé qui a lu La Rochefoucauld et ses parents en esprit et en art, est rare à
trouver en Europe ; et plus rare encore de beaucoup celui qui les connaît et ne les dédaigne pas.
Mais il est probable que même ce lecteur exceptionnel y prendra moins de plaisir que ne lui en
devrait donner la forme de ces artistes ; car
même le cerveau le plus fin n’est pas capable d’apprécier suffisamment l’art d’aiguiser une maxime,
s’il n’y a pas lui-même été élevé, s’il ne s’y est pas
essayé. On prend, faute de cette éducation pratique, cette invention et cette mise en forme pour
plus facile qu’elle n’est, on n’en ressent pas avec
assez d’acuité la réussite et l’attrait. C’est pourquoi
les lecteurs actuels de maximes n’y prennent
qu’une jouissance relativement insignifiante, à peine
assez de saveur .pour remplir la bouche, en sorte
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HUMAIN, TROP HUMAIN